Résidence Écrire l'Europe

Qu'est-ce que l'Europe ? Comment la penser au-delà des slogans ? Pour répondre à ces questions, Strasbourg et son université, laboratoires de l'expérience européenne, donnent avec cette résidence littéraire européenne la parole à des penseurs et à des créateurs dont le parcours enjambe les frontières.

Goran Petrović

Pour son édition 2020/2021, Écrire l’Europe – Prix Louise Weiss accueille Goran Petrović, écrivain et poète serbe, traduit en de nombreuses langues, dont quatre romans en français – Soixante-neuf tiroirs (2006), Le Siège de l'Église Saint-Sauveur (2006), Sous un ciel qui s'écaille (2010), Atlas des reflets célestes (2015)et Tout ce que je sais du temps, nouvelles (2019). Ces livres réinventent le roman historique sous formes de fresques historico-visionnaires, le « personnage principal » est un « être » collectif, celui de son peuple, de sa nation, dont il revisite les rêves, les errements, les envols et les chutes et dont il interroge le rapport au monde.
Goran Petrović participera à plusieurs rencontres, donnera une série de conférences à la Bibliothèque nationale et universitaire, animera des ateliers de création littéraire et parrainera également le concours d'écriture étudiant – Prix Louise Weiss 2020/21.

Goran Petrović

Goran Petrović est l'auteur invité en résidence littéraire Écrire l'Europe 2020/21. À ce titre, il parraine le concours d'écriture étudiant – Prix Louise Weiss 2021, anime des ateliers de création littéraire et donne une série de conférences.

Né en 1961 à Kraljevo, en Serbie. Goran Petrovic a publié en 1989, année de l’effondrement du bloc des pays de l’Est, son premier livre, qui sera suivi d'une douzaine d'autres : romans, recueils de nouvelles, textes dramatiques.  Couronnée par les plus grands prix littéraires dans son pays et traduits dans une vingtaine de langues, son œuvre suscite également l'intérêt d'un vaste public, bien qu'elle ne soit nullement apparentée à ce que l'on appelle la « littérature populaire ». Il s'agit tout au contraire d'une écriture éminemment « littéraire », nourrie d'une poétique complexe et raffinée. La raison de ce succès public réside probablement en partie dans une dimension particulière de l'œuvre de Goran Petrovic : celle du souffle épique – si rare de nos jours en dehors de la littérature de genre – qui traverse ses fresques historico-visionnaires. En effet, le « personnage principal » de ses romans est un « être » collectif, celui de son peuple, de sa nation, dont il revisite les rêves, les errements, les envols et les chutes et dont il interroge le rapport au monde. Ce souffle, d'une part, restaure amoureusement les débris d'une identité nationale – mise à mal et sérieusement ébranlée par les secousses de l'histoire récente –, et, d'autre part, confronte cette identité aux autres visages du monde, en la remettant ainsi sans cesse en question. Autrement dit, ce souffle a un pouvoir magique : celui de tirer le lecteur serbophone d'une certaine consternation dans laquelle l'Histoire l'a plongé et de le remettre sur la large voie de l'universel voyage. Et cette dimension-là ne peut que fasciner ledit lecteur. 

Œuvres traduites en français :

  • Soixante-neuf tiroirs, roman, Éd. du Rocher, 2003 ; Le serpent à plumes, 2006
  • Le Siège de l'Église Saint-Sauveur, roman, Éditions du Seuil, 2006
  • Sous un ciel qui s'écaille, roman, Les Allusifs, 2010 ; Éd. 10/18, 2015
  • Atlas des reflets célestes, roman, Éditions Noir sur Blanc, 2015
  • Tout ce que je sais du temps, nouvelles, Éditions Noir sur Blanc, 2019

Conférences « Les quatre saisons à Strasbourg »

Cycle de 4 conférences de Goran Petrović programmé à l'auditorium de la Bibliothèque nationale et universitaire, de mars à avril, 4 mardis de suite à 18h30, en entrée libre sur inscription obligatoire.

Au cœur même de la littérature il y a notre besoin de raconter des histoires, et d'entendre les autres nous en raconter. La théorie littéraire et toutes les disciplines qui étudient la littérature – ne viennent qu'après.

Au cœur même de la littérature il y a notre besoin d'« embrasser » le monde dans l'histoire que nous racontons, ainsi que d'être « embrassé » dans l'histoire que raconte l'autre. Les réseaux sociaux ne viennent qu'après.

Au cœur même de la littérature il y a ces centaines de milliers de mots – romans, nouvelles et poèmes en devenir – que l'écrivain aligne. Une réponse à tous ces mots lui suffit. Alors que sur le champ luminescent et vide de notre moteur de recherche nous tapons un seul mot et obtenons des centaines de milliers de réponses. Réponses que nous n'arriverons jamais à lire – ni sur le moment ni après. 

Au cœur même de ce cycle il y a l'idée que les auditeurs, qui n'ont peut-être pas tous participé aux mêmes séances, se racontent les uns aux autres ce qu'ils ont entendu ; qu'ils échangent des histoires ; que le « mandala » qui s'en dégagera soit dessiné par différentes personnes ; que celles-ci en parlent encore entre elles lorsque que tout sera fini. Et même après.

Au cœur même de chacune de ces rencontres en particulier il y a l'idée qu'elle se prolonge naturellement dans la suivante comme le printemps se fond dans l'été, l'été dans l'automne et celui-ci dans l'hiver… Car notre suite naturelle à tous, même quand bien plus tard nous ne serons plus là, consistera seulement en histoires que nous aurons racontées aux autres ou en histoires que les autres raconteront sur nous. 

  • PRINTEMPS (mardi 23 mars 2021, 18h30, auditorium de la BNU)
  • ÉTÉ (mardi 30 mars 2021, 18h30, auditorium de la BNU)
  • AUTOMNE (mardi 06 avril 2021, 18h30, auditorium de la BNU)
  • HIVER (mardi 13 avril, 18h30, auditorium de la BNU)

 

Ateliers

Dans le cadre de sa résidence au printemps 2021, Goran Petrović propose des ateliers d’écriture créative aux étudiants de l’Université de Strasbourg.
Retrouvez sous peu les modalités d’inscriptions aux ateliers ici.

« Une image de la Place » - Goran Petrović

Je bois mon café sur la place de la République à Belgrade en observant la foule amassée ... C'est une douce après-midi d'automne, une de ces journées où la ville justifie son nom luminueux*. Les familles sont sorties se promener, les jeunes couples et les touristes se succèdent comme sur un gigantesque manège dont le monument au prince Michel serait le pivot. Il y a là, en effet, beaucoup d'étudiants étrangers avec leur sac à dos, leur plan de la ville déplié... J'ai vu passer aussi plusieurs groupes de touristes âgés, qui ont quelque chose d'enfantin tandis qu'ils babillent dans leurs idiomes et s'assemblent comme de sages écoliers autour de leur guide au petit drapeau levé. Ils doivent écouter ce qu'il leur dit de l'histoire de ce pays, du Prince, du Musée national, du Théâtre national...

Leur arrêt sur la Place ne dure pas longtemps, peut-être une dizaine de minutes. Mais ce qu'ils font tous, c'est prendre des photos. La position du soleil couchant est favorable, les téléphones mobiles et les appareils photos numériques captent les visages, les jeunes gens enlacés, les personnes âgées qui se soutiennent mutuellement. Sur un fond de Prince, de Musée, de Théâtre... Un fond où il y a tout cela, toutes ces choses déjà mentionnées. Et lui. Dont je ne connais pas le nom.

Je l'admets, je ne l'ai pas vu tout de suite. C'est une de ces personnes que l'on ne remarque pas. Sa mise est très modeste, mais proprette. On pourrait croire qu'il attend quelqu'un sur cette place, mais en fait il est oisif. Assis sur le rebord en pierre qui entoure le monument, il se lève promptement dès que quelqu'un prend son temps pour faire sa photo. Comme si de rien n'était, il passe derrière celui qui se fait photographier. Tandis qu'il se déplace, il bombe le torse, sort un peigne pour se coiffer soigneusement, lisse les revers de sa veste... Puis, au moment opportun, il se retourne et sourit à l'objectif. Pendant que je bois mon café, depuis que je l'ai remarqué, il l'a fait au moins une vingtaine de fois. Il est entré dans le cadre, pourrait-on dire. Il lui est même arrivé d'agiter joyeusement la main.

Le soleil se couche, les jeunes touristes se dispersent, probablement à la recherche du bon endroit où passer la soirée. Les agents touristiques emmènent les plus âgés dans des restaurants où l'on sert de la cuisine du pays. Lui aussi s'en va. On le dirait un peu abattu, ses épaules retombent, à chaque pas il se courbe davantage... Et pourtant, il sourit à tout jamais, c'est ainsi qu'il est multiplement immortalisé dans la mémoire de puissants appareils, sur des images que quelqu'un fera défiler un jour sur un écran, que Dieu sait qui « feuillettera » Dieu sait où, dans son foyer lointain. De là-bas, de différents coins du monde, il agitera la main avec persévérance. Alors que, ici, sur la principale place de Belgrade, devant le monument au Prince, devant le Musée national et le Théâtre national – nous ne le voyons pas.

*Beograd signifie « ville blanche » (N.d.T.).
                                                                                                                            Traduit du serbe par Gojko Lukić



Proposé par la Faculté des langues et la Faculté des lettres de l’Université de Strasbourg, avec la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, Écrire l’Europe - Prix Louise Weiss est porté par le Service universitaire de l’action culturelle avec le soutien de la Drac Grand Est, de la Fondation Presses Universitaires de Strasbourg, des Bibliothèques de l'université, et avec l’appui de la librairie Kléber.

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